Le capital relationnel, première ressource pour la croissance des PME

Jusqu’en 2022, 100 milliards d’euros d’argent public devraient être engagés dans l’économie dans le cadre du plan de relance. Les objectifs sont la modernisation de l’industrie, le développement de sa compétitivité, la relocalisation sur le territoire… Et pendant ce temps, ruptures abusives de contrats et retards de paiement flambent. Les difficultés d’approvisionnement tendent également les relations entre clients et fournisseurs. D’après Bercy, il y a eu en 2021, 54% de saisines du médiateur des relations entreprises de plus qu’en 2019. Quand elles émanent de PME, ces saisines portent presque exclusivement sur des litiges avec un acteur plus grand. Et, selon Pacte-PME-Altarès, les petits fournisseurs pâtissent deux fois plus de ces mauvais comportements que les grands.

Quand les retards de paiement augmentent les probabilités de défaillance de près d’un tiers, que plus de la moitié des factures sont payées en France en retard et qu’un seul jour de paiement en avance des factures représente un montant d’1 milliard d’euros au niveau français, le plan de relance actuel ne devrait pas se concentrer sur l’injection ponctuelle d’argent. Il devrait plutôt s’attacher à rebâtir une vision d’un avenir commun et confiant au sein des filières industrielles en France. En 2011, le rapport Retailleau soulignait déjà que la France pâtissait d’un manque d’entreprises de taille intermédiaire – licornes des temps anciens dont la taille dépendaient du chiffre d’affaires et non des levées de fond – par manque d’un tissu de confiance favorisant des écosystèmes collaboratifs et par manque de régulation des comportements des achats publics et des achats des grandes entreprises. C’était bien le capital immatériel et plus spécifiquement le capital relationnel qui était désigné comme premier levier de croissance.

La valeur présente comme future de l’écosystème France repose en effet dans la force des liens entre ses parties-prenantes et dans la capacité des PME à pouvoir faire confiance à leurs clients comme à leurs fournisseurs, tout particulièrement quand ils sont plus grands qu’elles, et ce, qu’ils relèvent du secteur privé comme public. La confiance implique de pouvoir compter sur l’autre pour remplir ses obligations légales et contractuelles a minima. Elle implique que l’on puisse espérer que le partenaire d’affaires agisse honnêtement quand il a l’opportunité ou le prétexte de ne pas le faire. C’est sur la base de cette confiance dans ses partenaires d’affaires qu’il est possible d’investir, d’embaucher, de se développer, d’aller conquérir des marchés lointains. Or la mise en place de relations de confiance passe par l’activation d’un récit commun, c’est à dire une vision partagée de la nature de ces relations, comme fondement d’un triptyque anthropologique articulé autour de mythes fondateurs, de rituels de perpétuation de ces mythes et d’éléments de doctrine pour vivre des moments de rites  communs (Durand 2016) nécessaires au business. Cela passe aussi par la mise en œuvre d’un émotionnel partagé pour battre les comportements rationnels de passager clandestin et d’opportunisme (Damasio 2010).

Depuis plusieurs années, des mesures incitatives ont été mises en place. Un service de « Médiation des relations entreprises », gratuit, est organisé par Bercy pour essayer de trouver des solutions apaisées aux situations conflictuelles. Une charte puis un label « Relation Achats et Fournisseurs Responsables » ont été créés par ce service de médiation avec les grands acheteurs réunis en association et des dirigeants de PME. En 12 ans, la charte a été signée par plus de 2 000 entreprises et grands services publics, et 61 d’entre eux ont été labellisés. Mais parmi ces derniers, il n’y a que 10 entreprises du CAC 40, 1 ministère, 1 région et 1 département. Des mesures coercitives sont aussi déployées. La loi Sapin 2 a consacré le principe du « name-and-shame » pour les mauvais payeurs. Chaque année la DGCCRF publie les noms des organisations et les montants des amendes infligées pour cause de retard de paiement. Depuis le 1er janvier 2022, les 3 000 entreprises les mieux notées par la Banque de France voient leurs notes dégradées si elles ne respectent pas les délais de paiement.

L’État pourrait et devrait aller plus loin en s’engageant systématiquement dans des relations de confiance avec ses propres fournisseurs et avec les fournisseurs des entreprises dans lesquelles il est présent au conseil d’administration. L’État doit alors s’efforcer de faire appliquer la loi en auditant et sanctionnant plus durement. Contraindre d’abord les acheteurs des administrations et des entreprises publiques à adopter des comportements conformes, puis vertueux, mais s’attacher à contraindre aussi les entreprises dans lesquelles l’État est actionnaire et administrateur. Puis, il peut être pertinent de chercher à promouvoir à une échelle étendue la logique d’intérêts communs (en opposition à la logique d’intérêts particuliers) et d’envisager une application de la théorie des biens communs (Ostrom 1990) en les appliquant aux plans de relance des filières soutenues à travers une gouvernance associée et partagée des parties prenantes du bien. Pour croître et garder une production locale, les PME ont besoin de confiance envers leurs partenaires et non pas de subventions ponctuelles et unilatérales. Elles doivent être considérées comme un bien commun à gérer par les différentes parties prenantes.

Mais le travail le plus important et qui s’inscrit plus dans la durée porte sur le « vivre ensemble au travail ». Il nécessite une posture entrepreneuriale d’humilité et de modestie pour apprendre de l’écoute et de l’empathie et pour mettre en place le respect de la parole donnée entre parties prenantes, préalable incontournable à une logique de confiance (Lacan 2016). Cela ne se fera pas sans une ré-interrogation profonde de nos modèles d’entrepreneuriat et des relations de commerce. Car au-delà des subventions publiques, dans une logique de croissance post-Covid 19, il faudra bien questionner les habitus du « vivre ensemble au travail » au-delà du « travailler ensemble » (Frimousse et Peretti 2021 ; Scouarnec 2020).

Se joue alors toute la régulation des relations interpersonnelles par la confiance, véritable ressource « pivot » du monde des affaires, plutôt que la surveillance des comportements déviants produits par la logique de méfiance et donc de surveillance (Lacan et Silva 2020). L’enjeu est double : il s’agit de compétitivité mais aussi d’emploi… Aux Assises des délais de paiement de 2019, il était estimé que les retards de paiement étaient la cause de 12 000 à 15 000 défaillances d’entreprise, soit 50 000 pertes d’emploi chaque année. Aux vues des enjeux, les formations et les écoles de management ne peuvent rester inactives sur le sujet car c’est aussi de leur responsabilité de sensibiliser et de former les étudiants à cette nouvelle forme de business pour les grands groupes comme pour les PME et les organisations publiques. Il s’agit de contribuer à promouvoir un monde des affaires plus efficace et durable reposant d’abord sur la confiance au lieu de miser sur la maximisation des profits individuels (Servajean-Hilst et al. 2021).

Les écoles de management, et les enseignants en management en règle générale, qui forment une grande partie des entrepreneurs, des cadres et des acheteurs de demain, doivent absolument travailler à une révision conceptuelle. L’enjeu commun est de passer d’une situation sous-optimale pour tous (équilibre de Nash) à une situation où chacun maximise (optimum de Pareto), c’est-à-dire cesser de viser le moins pire pour oser chercher le mieux pour tous en changeant de mindsets.

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Romaric Servajean-Hilst – Professeur associé, KEDGE Business School -Chercheur associé, i3-CRG, École polytechnique, CNRS, IP Paris https://www.linkedin.com/in/hilst/

Arnaud Lacan – Professeur associé, KEDGE Business School -Chercheur associé, AMSE, CNRS & EHESS – UMR 7316, https://www.linkedin.com/in/arnaud-lacan/

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Bibliographie

Damasio A. R. 2010. L’Erreur de Descartes. La raison des émotions. Odile Jacob.

Durand G. 2016. Les structures anthropologiques de l’imaginaire. 12e édition. Dunod.

Frimousse S.,  Peretti J.-M. 2021. « Quel style de management dans l’organisation post-Covid ? », Question(s) de management, 34(4): 97‑171.

Lacan A. 2016. « La postmodernité dans l’entreprise : quel manager pour relever le défi ? » Management & Avenir, 90(8): 195‑217.

Lacan A., Silva F. 2020. Repenser le management. EMS Management & Société.

Ostrom E. 1990. Governing the commons. Cambridge University Press.

Scouarnec A. 2020. « Crise sanitaire et transformation du travail : les conséquences pour les équipes RH », Management & Avenir, 120(6): 9‑11.

Servajean-Hilst R., Donada C., Ben Mahmoud-Jouini S. 2021, « Vertical innovation partnerships and relational performance: The mediating role of trust, interdependence, and familiarity », Industrial Marketing Management, 97: 84‑96.

 

 

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