La réputation, actif immatériel à chouchouter

« Que je me démène ou je reste coi, je passe pour un je-ne-sais-quoi ».

On sait désormais, depuis que le programmeur italien Alberto Brandolini l’a érigé en principe, que l’énergie à consacrer à la réfutation d’une assertion mensongère est considérablement plus importante que celle qui a été nécessaire pour la produire. Tout cela n’est pourtant pas si nouveau puisque, trois siècles après Jean Bodin, Henry Ford concluait « Les deux choses les plus importantes qui n’apparaissent pas au bilan de l’entreprise : sa réputation et ses hommes ».

Extrêmement complexe à protéger, cet actif compte parmi l’un des plus volatils. Rempart puissant contre les attaques et source de rayonnement pour l’entreprise, il lui faut des années pour construire sa réputation et pourtant elle peut vaciller en quelques secondes.

C’est la raison pour laquelle, dans la course à la hiérarchisation des actifs intangibles, la réputation demeure un impératif incontournable dans un contexte ou le numérique entraîne le plus souvent un jugement de valeur instantané qui guide les comportements des consommateurs mais également des collaborateurs et des partenaires de l’entreprise.

Le lien avec l’authenticité de l’action, de plus en plus exigée à 360 degrés, nous conduit rapidement à en déduire qu’une politique RSE efficace et sincère ne peut plus se contenter de déclarer mais doit également délivrer. « Je dois être ce que je prétends être » ou, à tout le moins, être capable de prouver que je mobilise toute mon organisation pour atteindre cet objectif.

Il en est ainsi de la réputation du dirigeant qui est devenu, à la demande des communautés de l’entreprise, metteur en scène de son leadership et notamment par ses prises de parole ou ses mises en image et plus encore parce que les réseaux sociaux offrent un lien direct, sans intermédiaire, entre l’émetteur entreprise/entrepreneur et le récepteur consommateur/citoyen.

Sa parole, entendue au sens large des mots et des symboles produits, devient performative, c’est-à-dire qu’elle agit en tant que telle. La perte de confiance des citoyens vis-à-vis des institutions politiques aura renforcé par un effet de vases communicants le besoin d’autres formes de leadership ; les entrepreneurs et les dirigeants sont devenus de nouveaux guides. Prenons un seul exemple pour illustrer ce propos, celui d’Elon Musk véritable thaumaturge pour les 88 millions de personnes qui le suivent sur Twitter, l’entreprise qu’il vient de racheter ; Grand « marabout » pour davantage de gens encore au-delà des seuls médias sociaux. A contrario, si elles n’étaient pas à la hauteur, les prises de parole ou les « effusions de symboles » du dirigeant pourraient constituer un large obstacle à l’image d’intégrité de l’organisation.

Faut-il rappeler, à une période (bénie de notre point de vue) post #MeeToo, que tout comportement inapproprié se révélerait une large entaille à la réputation d’une entreprise et par effet de ricochet une promesse de forte dépréciation de sa valorisation financière. L’intangible réputationnel, tel que nous pourrions également désigner cet actif, est une chance. Mais c’est également une épée de Damoclès qui oscille au-dessus de nombreuses têtes. Terrible présage pour les acteurs économiques malhabiles avec ce paramètre.

De leur côté, les actionnaires doivent être formés pour évaluer rapidement, si le halo réputationnel que possède chaque entreprise est une opportunité, un risque ou pire encore un électroencéphalogramme plat. En effet dans l’anthropocène également « médiaticocènique » ce qui ne se voit pas n’existe pas ! Le monde possède désormais un exemple éloquent. Celui du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Hier acteur arrivé par effraction politique à la tête de son pays. Et dont le parcours devait provoquer de narquois sourires dans la classe dirigeante mondiale. Aujourd’hui son leadership et la réputation qu’il s’est constituée après quelques faits remarquables de communication, garderont un chapitre fourni, certes dans les ouvrages de communication mais aussi et surtout dans les livres d’histoire. Mais là également tout dérapage pourrait être fatal à son actif réputationnel mais également à celui de son pays.

Il est également intéressant d’étudier la protection de la réputation par la force du collectif. Elle rassemble le plus souvent les membres de l’entreprise autour de la dynamique impulsée par les dirigeants.

En ce sens, l’analogie avec la systémique de la blockchain est intéressante : agissant en tant que « pair », chaque individu est le garant de l’écosystème de l’entité.

Pourtant capable d’agilité, de créativité et de résilience, l’élément humain demeure l’un des principaux facteurs d’incertitude et de risque.

Alors comment concourir à nourrir la force de ce collectif ?

La GRH (Gestion des Ressources Humaines) a dépassé aujourd’hui ses fonctions régaliennes en mutant vers la GRRH (incluant la Gestion de la Relation). Le Capital Humain devient Potentiel Humain : plus qu’une ressource, il intègre désormais les composantes vivantes liées à l’attitude (engagement, motivation, sentiment d’appartenance) et à l’agilité (capacité d’adaptation, d’innovation, de réflexion et de créativité). La finesse de cette gestion nouvelle va déterminer la qualité de la relation, elle va s’exprimer par la force du lien entre les membres d’une même entité. Ce dernier ne pourra s’inscrire durablement, que si le sens est connu et partagé par tous.

Chacun agissant dans une même direction, porté avec l’énergie de l’incarnation des valeurs prônées par l’entreprise. Parallèlement, une solide culture d’entreprise encouragera ces bons comportements et a vocation à guider les collaborateurs vers les bonnes décisions.

Dans ce cadre, la prise de conscience des collaborateurs de l’entreprise vis-à-vis des valeurs véhiculées par la projection responsable de l’entreprise et l’image qui en découle doit être saluée mais également encouragée par une écoute particulière car ils peuvent devenir, malgré eux les otages d’une stratégie déficiente de l’entreprise dans le domaine de la réputation.

Dans la même veine, l’accélération des actions judiciaires du monde associatif visant à dénoncer la déconnexion entre les engagements éthiques, environnementaux d’une société et la réalité de la réalisation de ces engagements doit nous alerter. Les ONG depuis 2021 ont attaqué sur ce fondement, notamment Samsung sur le non-respect des conditions de travail des salariés de ses sous-traitants et TotalEnergies pour publicité mensongère et pratiques commerciales trompeuses.

La loi Climat et résilience au Code de la consommation dans son article L121-2 (modifié en août 2021) indique qu’une pratique commerciale est trompeuse si l’allégation fausse porte sur « la portée des engagements de l’annonceur, notamment en matière environnementale », instituant ainsi une caractérisation juridique du greenwashing.

Ces actions juridiques entachent l’actif immatériel de l’entreprise et encore plus en cas de condamnation. Les zones de risques créées par les entreprises sont légions notamment dans les rapports RSE où les engagements sont souvent dithyrambiques mais dont l’évaluation des résultats s’avère difficile.

Ainsi exposées, les entreprises risquent une dévalorisation de l’actif immatériel contre laquelle il convient d‘être très attentif. L’humilité des engagements doit être de mise plutôt qu’une formulation marketing porteuse de sens, certes, mais dont la véracité sera confrontée aux réalités de réalisations.

Jo-Michel Dahan

Conseiller

Médiateur des entreprises

 

 

Marie-Anne Desnoulez-Deldique

Co-fondateur

WeTalk Group

 

 

Jacky Isabello

Co-fondateur

CorioLink

 

 

Frédéric Lefret

Président de l’Institut

du Dialogue Civil 

 

 

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