Comment mesurer l’immatériel ?

Cette question métaphysique ou existentielle nous préoccupe parfois :  comment donner de la valeur à ce qui n’a pas de substance physique, ni d’existence concrète, bref ce qui est invisible en somme ?

La réponse se traduit par l’espérance qui peut nous transcender, et nous faire croire en un lendemain meilleur, et sur le plan « matériel », par l’espoir que l’immatériel (ou plutôt l’exploitation économique de ces biens immatériels) nous réserve un avenir heureux et fructueux en raison du succès qui -nous l’espérons- nous permettra finalement de récolter les dividendes de nos efforts et/ou de notre talent.

Combien de jeunes entrepreneurs ou futurs entrepreneurs caressent l’espoir que leur start up -qui porte les fruits de leurs talents et de leurs efforts- soit demain à l’origine d’un succès économique et financier leur permettant de rejoindre au panthéon des grands entrepreneurs Larry Page (Google) ou Mark Zuckenberg  (Facebook) dont les fortunes sont estimés à plusieurs milliards de Dollars.

Posée en ces termes, la question de la valeur de l’économie immatérielle peut se révéler iconoclaste mais elle rejoint les interrogations de certains analystes financiers dès lors qu’ils sont amenés à examiner la valeur des entreprises -qui font appel public à l’épargne ou non- dont l’actif du bilan laisse apparaitre ou non la valeur de leur patrimoine immatériel.

Comment définir la notion de biens immatériels ?

Les normes applicables en matière d’information financière (nous parlerons essentiellement de normalisation internationale plus communément connue sous le vocable d’IFRS et de ses avatars les IAS/IFRS) définissent dans certaines situations (pas toutes hélas) la notion d’actif immatériel ou plutôt d’immobilisation incorporelle, en donnant une acceptation plus restrictive à ce dernier concept, comme un actif non monétaire identifiable sans substance physique (Cf. IAS 38).

La définition d’une immobilisation incorporelle (terme que nous allons utiliser par la suite pour désigner un actif immatériel par simplicité) dans le référentiel IFRS impose que cette immobilisation soit identifiable, afin de la reconnaitre (la comptabiliser) comme un actif au bilan de l’entreprise.

Un actif satisfait au critère « d’identifiabilité » dans la définition d’une immobilisation incorporelle lorsqu’il est séparable, c’est-à-dire qu’il peut être séparé de l’entité et être vendu soit de façon individuelle, soit dans le cadre d’un contrat, avec un actif ou un passif lié.

Cette norme définit également la notion d’actif comme une ressource contrôlée par une entité du fait d’événements passés et à partir de laquelle on s’attend à ce que des avantages économiques futurs bénéficient à l’entreprise.

La notion de contrôle d’un actif suppose le pouvoir d’obtenir les avantages économiques futurs découlant de la ressource sous-jacente. Dans ces conditions, une immobilisation incorporelle doit être comptabilisée si, et seulement si, il est probable que les avantages économiques futurs attribuables à l’actif iront à l’entité et si le coût de cet actif peut être évalué de façon fiable.

Comment évaluer ces biens immatériels reconnus à l’actif des entités ?

Dans le cas d’immobilisations incorporelles acquises séparément, le coût peut généralement être évalué de façon fiable comme étant le coût d’acquisition tel que le définit la norme IAS 38 (§ 24 à 28).

Et lorsque de tels éléments sont acquis dans le cadre d’un regroupement d’entreprises (donc avec d’autres actifs et passifs), ils sont susceptibles de faire l’objet d’une comptabilisation séparée du goodwill dans certaines situations. Pour illustrer notre propos, la norme IFRS 3 reprend des exemples d’actifs immatériels tels que marques, nom de domaine, titres de journaux, carnets de commande, goodwill…

En revanche, les marques, titres de journaux et de magazines, listes de clients et autres éléments similaires en substance générés en interne ne doivent pas être comptabilisés en tant qu’immobilisations incorporelles. Les dépenses engagées pour générer ces éléments ne peuvent pas être distinguées du coût de développement de l’activité dans son ensemble.

Par conséquent, ces éléments ne sont pas comptabilisés en tant qu’immobilisations incorporelles et ne peuvent être donc évalués séparément.

Ce qui n’est pas le cas d’autres actifs incorporels à l’image des frais de développement ou des brevets voir des logiciels. Le coût de ces actifs immatériels générés en interne comprend tous les coûts directement attribuables nécessaires pour créer, produire et préparer l’immobilisation pour qu’elle puisse être exploitée.

Conclusion : tout le patrimoine n’est pas identifiable -donc mesurable- d’où la notion d’information extra-financière ?

Nous voyons à travers ce raisonnement que la question posée au préalable de la mesure des actifs immatériels est complexe et que les référentiels comptables (IFRS ou référentiel applicable en France) ont permis de dégager une pratique permettant d’identifier, de reconnaitre et de valoriser le patrimoine immatériel d’une entité.

Mais il existe du patrimoine immatériel qui ne peut être appréhendé voir reconnu, et nous pouvons citer comme exemple, le capital humain (personnel de l’entreprise), qui ne peut être comptabilisé et évalué à l’actif d’une entreprise. Parfois, il vaut mieux ne pas reconnaitre l’ensemble des actifs immatériels pour éviter les dérives de ce que l’on peut qualifier de « comptabilité créative » qui permettrait de tout évaluer, mesurer, comptabiliser.

D’où la nécessité d’une information extra comptable pour mesurer la performance des entreprises et leur empreinte « carbone », que nous pouvons plutôt traduire, par l’impact sur l’environnement de leurs activités mais aussi la façon dont l’entité respecte la cadre dans lequel elle intervient notamment dans les pays ou la notion de droits humains ou sociaux présente un caractère secondaire comparé à l’impératif de développement. C’est « l’entreprise à mission », notion mise en place récemment dans le cadre de la loi Pacte.

Nous évoquons ici pour finir la notion de RSE (responsabilité sociétale et environnementale de l’entreprise) qui ne lie pas forcément la réussite ou le succès à la croissance ou à la performance financière. Mais nous parlons ici d’une notion qui s’invite de manière régulière dans le débat public…. Il s’agit de la notion de décroissance.

 

Abdoullah LALA, Expert-Comptable & Commissaire aux Comptes

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